Comment se projeter à l’aube de la fin d’un monde ? Chapitre 3c : progresser avec les bonnes hypothèses

Les deux précédents chapitres ont détaillé les scénarios de l’ADEME [ADEME] et de NégaWatt [NégaWatt] concernant la transition énergétique en France. Une des difficultés de considérer les scénarios de transition énergétique est liée au fait que nous devons considérer à la fois la réalité technique, économique, sociétale et politique. Et certaines recommandations des scénarios sont parfois juste techniquement, mais non efficace sur d’autres plans.

Pour aller plus loin dans les scénarios du « ce qu’il faudrait faire », Jean-Marc Jancovici a été auditionné par une commission de l’assemblée nationale sur l’impact des énergies renouvelables, le jeudi 16 mai 2019 [ass_nat_ENR].
Les différents éléments démontrés par Jean-Marc Jancovici montrent la complexité technique de la réalité physique de l’énergie et de la production l’électricité en particulier ainsi que la difficile équation économique-politique sous-jacente notamment en France. La vidéo est disponible aussi ici :

Voici quelques éléments qui ont retenu mon attention.
Avec le nucléaire et l’hydroélectricité, la France peut être considérée comme faisant parmi des leaders mondiaux sur la part d’énergie primaire bas carbone dans son mix énergétique (un peu moins de 50%).
Toutefois, on parle ici d’énergie primaire, l’énergie « potentielle » contenue dans les ressources naturelles (comme le bois, le gaz, le pétrole, etc) avant toute transformation. En ce qui concerne l’énergie finale, consommée et facturée à chaque usage, en tenant compte des pertes lors de la production, du transport et de la transformation du combustible, le bilan est nettement moins flatteur avec une part d’énergie finale carbonée de 45% de pétrole, 19% de gaz et 3% de charbon [MixEfinale2015]. Cette différence entre les taux d’énergie primaire et finale non carbonée s’explique donc par le rendement inférieur de production d’énergie finale non carbonée par rapport aux autres.
L’usage du pétrole est avant tout lié au transport, et dans une moindre mesure au résidentiel et à l’agriculture (qui a une forte dépendance avale vis à vis des transports car il faut transporter la nourriture). Concernant le gaz, c’est avant tout un usage lié au chauffage des bâtiments (50%) et le reste au profit de l’industrie ou de la production d’électricité. Concernant le charbon, c’est avant tout utilisé par la sidérurgie et la production d’électricité.
Alors comment changer la donne et où investir ?
Jean-Marc Jancovici revient d’abord sur l’éolien.

  1. En Europe, quand il n’y a pas de vent, c’est général. Dit-autrement, on ne peut pas compter sur la production éolienne d’électricité des voisins si il n’y a pas de vent chez nous. Et si l’on augmente la solidarité électrique entre pays éloignés, il faut construire des réseaux de haute tension qui vont bien et c’est difficilement tenable à moyen terme. Pour progresser, il faudrait rendre pilotable l’éolien, c’est à dire lui associer une capacité de stockage d’énergie (on stocke quand on produit plus que l’on ne consomme, et inversement on pioche dans les réserves quand il faut).
  2. Le prix de marché électrique est inversement proportionnel à la production éolienne. Dit autrement, quand il y a du vent et que la production d’électricité éolienne est forte, le prix de marché est bas ce qui peut mener les producteurs à vendre à perte sur ces périodes. Le seuil de rentabilité n’est donc pas égal au prix moyen du kWh éolien. L’équation économique est donc compliquée (recours à des subventions, non compétitivité même si stockage exclu).
  3. Si l’on n’associe pas des capacités de stockage à l’éolien, alors il faut garder en réserve des moyens de production mobilisables lors de creux de production à usage constant. Ainsi, le développement de l’éolien ne fera pas baisser la capacité de production de réserve pilotable : il ne fera que baisser le facteur de charge de ces moyens de réserve. Si les moyens de réserve sont à base de nucléaire (qui a globalement un coût fixe de fonctionnement : il coûte presque autant en mode production qu’en mode arrêté), alors l’intérêt de déployer l’éolien est économiquement et écologiquement nul. Si les moyens de réserve sont à base de pétrole/gaz/charbon (dont le coût en mode arrêté est plus faible qu’en mode fonctionnement), alors l’éolien peut être intéressant économiquement mais pas écologiquement (la neutralité carbone disparaît).

La démonstration est faite pour l’éolien et probablement similaire pour le solaire électrique. Sans changer l’usage/la consommation, pour un pays comme la France, avec l’objectif de neutralité carbone, il est incohérent d’investir dans l’éolien (et le solaire électrique) sans stockage : cela ne nous permet pas de sortir du nucléaire, et si l’on souhaite sortir du nucléaire, c’est au profit d’énergie carbonée.
Un dernier argument économique est aussi mis sur la table : si l’on ne souhaite pas garder des productions de réserve, alors il faut rendre l’éolien (et le solaire) pilotable, et donc lui associer des capacités de stockage d’énergie (pompage à eau, batteries…) qui ont un coût environnemental et économique. Et sur l’équation globale économique, Jean-Marc Jancovici le synthétise avec le schéma suivant :

En gros, pour passer au tout éolien, il faut dépenser entre 5 et 30 fois le montant qu’il faudrait pour un parc nucléaire tout neuf. C’est avec ce genre d’argument que l’on peut arriver à la conclusion que le nucléaire n’est pas si catastrophique au final.
Alors tous ces éléments identifiés mettent en avant qu’il faut avant tout jouer sur la consommation plutôt que sur la production. Que tout argent mis dans l’évolution de la production sans baisse de la consommation est de l’argent mis par la fenêtre.
Sur la baisse de consommation, Jean-Marc Jancovici met en avant différentes actions :

  • Il faut s’attaquer aux bâtiments existants. La construction de bâtiments neufs ne renouvelle quasiment pas le parc immobilier. Il faut donc ainsi sortir le fuel et le gaz du chauffage : obligation légale à réaliser une isolation extérieure lors des ravalements, interdiction de renouveler une chaudière à gaz/fioul par autre chose qu’une pompe à chaleur. A titre d’exemple, l’investissement de 25 milliards d’euros dans l’éolien off-shore (qui ne règle rien) représentent 6000€ de prime de conversion pour chacun des 4 millions de foyers utilisant une chaudière au fioul.
  • Sur le transport, il faut permettre les mobilités courtes indispensables (celles du quotidien) avec le transport en commun léger (de type bus) ou lourd (train), le covoiturage , l’électromobilité, vélo et marche. Il faut aussi réduire les transports longue distance en raccourcissant les distances, en privilégiant le train à l’avion et en mixant les modes de transport. Enfin, il faut arriver à réduire la consommation des véhicules (cible pour des voitures à moins de 2l/100km réel pour 2030).

Je ne peux que mentionner le site de Jean-Marc Jancovici [Jancovici] et son cabinet de conseil [carbone4].

Ces différents éléments permettent à la fois de confirmer en partie les scénarios ADEME et NégaWatt et en partie de les infirmer. Cela les confirme sur la priorité à réduire la consommation par des mesures claires et cela les infirme sur l’adoption plus difficile que prévue des énergies électriques renouvelables type éolien. Enfin, il y a cette énergie nucléaire qui est à la fois une chance et une catastrophe ambulante.
Dans le chapitre 3d suivant, nous prendrons en référence les 9 mesures du shiftproject en faveur de la « décarbonisation » de l’Europe avant de considérer un scénario en rupture d’usage (chapitre 3e).

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