Comment se projeter à l’aube de la fin d’un monde ? Chapitre 3d : le Shift Project

Comme indiqué sur le site web, le Shift Project est un think tank qui oeuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone [shiftproject].
Le Shift Project a édité un manifeste pour décarboner l’Europe avec cet objectif de mettre en place « les politiques capables d’aboutir en 2050 à des émissions de gaz à effet de serre aussi proches que possible de zéro » [decarbonize]. En 2017, 9 actions ont été mises en avant :

Si l’on revient sur chacune des 9 propositions :

  • Fermer toutes les centrales à charbon [électricité] : ici, c’est la question de production de l’électricité dont il s’agit, sans question de modification de l’usage. La question est par quoi remplacer le charbon et à quel prix. 4 scénarios sont étudiés en prenant en compte différents mix de production électrique non carbonée à base d’énergies renouvelables intermittentes ou non, de nucléaire et le coût d’investissement à réaliser. Des premiers chiffrages de l’investissement à réaliser sont donnés mais ils ne sont pas encore pleinement consolidés. De manière stratégique, les actions identifiées sont :
    • Faire tendre les crédits du système communautaire d’échange de quotas d’émission (EU ETS) alloués aux installations de production d’électricité vers 0 en 2050.
    • Instaurer via la réglementation européenne un plafond progressivement décroissant de facteur d’émission (gCO2/kWh) de la production d’électricité, comme cela a été fait pour des polluants locaux.
    • Mettre en place un système de subventions pour le remplacement des centrales les plus émettrices de CO2, basé sur le plus faible coût d’investissement à la tonne de CO2 évitée.
    • Poursuivre les efforts de recherche & développement (R&D) concernant les moyens de production bas carbone, ainsi que l’adaptation du réseau de transport et de distribution.
    • Assurer un financement 100 % public de la construction de prototypes grandeur nature pour la capture et le stockage du carbone (CSC).
  • Généraliser les véhicules économes, ciblant des consommations de moins de 2l/km [vehicule]. L’étude proposée ne couvre que les trajets intra-UE avec les véhicules personnels et camionnettes (et donc pas les camions), et rien que pour elles, cela concerne près d’un quart des émissions globales de gaz à effet de serre de l’union. Il est rappelé que des actions réglementaires sont déjà en cours pour réduire les émissions et nous nous heurtons actuellement à une divergence entre émissions réelles et homologuées et à une contradiction du marché avec le développement de véhicules plus lourds qui effacent les gains technologiques. Les actions identifiées sont :
    • Imposer, pour les voitures neuves, via la législation européenne des plafonds du type 50 gCO2/km en moyenne pour les voitures neuves dès 2030, et 70 gCO2/km en moyenne pour les camionnettes neuves.
    • Elaborer un système d’accompagnement de cette contrainte sur les émissions (prime à la casse, taxe à la détention, bonus-malus).
    • Augmenter la fiscalité sur les carburants, afin de maintenir les recettes fiscales permettant de financer les infrastructures du transport routier, et d’éviter pour les ménages un éventuel effet rebond induit par la baisse de consommation des véhicules.
    • Mettre en place un dispositif pour soutenir la R&D permettant d’améliorer la performance énergétique des moteurs et d’aller vers un allégement des véhicules.
  • Supporter une mobilité urbaine intelligente [Mobilité urbaine]. Avec une population croissante en ville (plus des 3/4 de la population en ville en 2012), la réduction des GES liés à la mobilité urbaine est clef. Un ensemble d’actions est préconisé autour de 3 axes : Une augmentation de l’offre en transports alternatifs à la voiture particulière ciblant les déplacements domicile-travail, des mesures dissuasives de l’usage de la voiture qui doivent impérativement accompagner la nouvelle offre de transports alternatifs et l’arrêt de l’étalement urbain, ce qui empêchera l’augmentation inexorable de la mobilité et l’aggravation de la dépendance à la voiture particulière. L’investissement est de l’ordre de 1000 milliards d’euros (approximativement). Les actions de manière plus concrètes :
    • Développer le réseau de Bus à Haut Niveau de Service (BHNS) en périphérie de ville qui s’appuie sur le réseau routier existant.
    • Encourager l’autopartage «en boucle», où les usagers retournent le véhicule à son point d’emprunt.
    • Encourager le développement du covoiturage pour la mobilité domicile-travail, avec la création systématique de plans de déplacement entreprises et interentreprises.
    • Recourir à des technologies moins émissives pour les transports publics (biocarburants, électricité, hybridation).
    • Développer un système vélo.
    • Restreindre la voirie allouée à la voiture particulière (au profit des moyens collectifs).
    • Restreindre et réglementer le stationnement.
    • Systématiser les règlementations d’urbanisme juridiquement contraignantes pour limiter l’étalement urbain, notamment en considérant des restrictions juridiques d’usage des sols, des incitations réglementaires à la mixité d’usage des zones urbaines (rapprochant logements, lieux de travail, et centre d’intérêts), l’obligation pour les nouvelles zones urbanisées de disposer d’un accès au transport collectif et la mise en place de plans de déplacement urbains juridiquement contraignants.
  • Redonner l’avantage au train, notamment par rapport à l’avion [Train]. Cela implique le développement des lignes à grande vitesse sur toute l’union européenne. Même si des travaux d’infrastructures sont nécessaires, le train reste de loin le moyen de transport le moins émetteur de GES par passager/km. L’objectif affiché est d’assurer la majorité du transport de passagers à moyenne distance par transport ferroviaire en 2050 en améliorant la capacité du réseau existant et tripler la longueur du réseau à grande vitesse d’ici 2030 dans tous les États membres. L’investissement est évalué à 1000-1700 milliards d’euros, mais il est rappelé qu’en prenant toutes les externalités positives induites, le coût du fonctionnement de ces nouvelles lignes de train serait complètement remboursé à la société. Les actions identifiées sont :
    • Développer les liaisons par train grande vitesse entre les principales villes d’Europe et rendre les caractéristiques techniques des réseaux ferroviaires européens homogènes donc interopérables.
    • Améliorer le réseau conventionnel actuel de Ligne à Grande Vitesse (LGV).
    • Constituer une flotte de trains rapides efficaces en termes de consommation d’énergie et augmenter l’électrification.
    • Abandonner l’extension et la création de nouveaux aéroports.
    • Relever le taux d’imposition minimum dans la directive 2003/96/CE portant sur la taxation des produits énergétiques (kérosène).
    • Supprimer les subventions accordées aux compagnies «à bas coût» par les aéroports régionaux.
    • Mettre en place un «Audit mobilité aérienne interne» au sein des entreprises (nationales, européennes) permettant à ces dernières d’évaluer l’intensité carbone et le coût des déplacements aériens de leurs collaborateurs en Europe.
  • Une évolution de l’industrie lourde [Industrie lourde]. L’industrie représente 20% des émissions de CO2 de l’union. L’objectif est de diviser par deux par rapport à leur niveau de 2012 les émissions de gaz à effet de serre des industries sidérurgique, cimentière, et chimique lourde. 3 axes sont déclinés en détails pour les 3 industries mais je ne les aborde pas ici :
    • Réduction pour la production de chaleur, le remplacement des combustibles fossiles par des matériaux alternatifs (déchets ou des matériaux issus de la biomasse5) ou des procédés moins émetteurs.
    • L’amélioration de l’intensité carbone des procédés de production.
    • Favoriser le développement d’une économie plus «circulaire» incluant davantage de recyclage, d’efficacité matière et de durée de vie.
  • Un habitat privé sobre en énergie [Habitat sobre]. Le constat part du fait que 80% des bâtiments résidentiels européens ont été construits avant 1990. L’objectif affiché est de réaliser des rénovations thermiques approfondies sur l’ensemble des bâtiments résidentiels privés construits avant 1990 pour atteindre le niveau « bâtiment basse consommation» d’ici 2050. C’est un challenge qui a été évalué à 5 000 et 8 500 Mds d’euros. Toutefois, il est avancé que les gains économiques pourraient largement compensés cet investissement. Différentes grandes orientations sont définies :
    • Etablir une feuille de route 2020-2050 pour la rénovation pour avoir des outils politiques et financiers dans une vision de long terme avec une politique publique stable.
    • Rendre obligatoire un «Passeport efficacité énergétique» obligatoire lors des ventes, modifiant la valeur du bien si les travaux ne sont pas réalisés. Un impôt foncier modulable est aussi possible.
    • Encourager le développement de la filière «rénovation».
    • Doter chaque pays d’outils de statistique et d’étude au service d’une politique juste.
    • Mettre en place des mécanismes de financement spécifiques : prêts, fond européen…
    • Accentuer l’effort de pédagogie et de sensibilisation envers les ménages.
  • Un parc de bâtiments tertiaires optimisés [Tertiaire] : Presque les deux tiers des bâtiments tertiaires en Europe ont été construits avant 1980. Les orientations sont liés au financement de la rénovation thermique, de consolider un contrat de performance énergétique par lequel le constructeur et l’exploitant délivrent une garantie de performance énergétique sur les travaux/matériels livrés. Les économies d’énergie permettent de rembourser le coût des travaux dans la duréeet le coût du financement est suffisamment bas. Pour les bâtiments publics, il s’agit de rendre obligatoire la rénovation approfondie.
  • Encourager la construction BIO [Filière Bois]. Les forêts constituent « un stock de carbone » et un puits potentiel. L’objectif est de doubler l’utilisation du bois en construction. A l’échelle européenne :
    • Hiérarchiser les usages (développer le bois d’oeuvre et l’industrie associée) et favoriser la filière bois.
    • Favoriser l’usage de bois locaux.
    • Encourager le développement de filières de construction bois.
    • Soutenir et financer des programmes européens de reforestation.
  • Aller vers une agriculture durable [Agriculture]. L’agriculture émet 12% des gaz à effet de serre (2012), et arrive bien derrière les secteurs mentionnés ci-dessus. L’objectif affiché est de diminuer de 20% les émissions de ce secteur avec les actions suivantes :
    • Réduire de moitié les pertes et gaspillages alimentaires.
    • Réorienter massivement l’élevage vers des productions labellisées de haute qualité, afin de diminuer les volumes et d’augmenter les prix unitaires payés aux éleveurs.
    • Améliorer l’équilibre nutritionnel avec une consommation de produits d’origine animale moindre et de meilleure qualité.

Selon ces premières études du shift project, l’ensemble des mesures permet à l’Europe de diviser par quatre (« Facteur 4 ») les émissions par rapport à 1990.

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