2012 n’a pas été l’année de la fin du monde mais celle de la continuation de la fin de notre monde. Une des tendances à la mode est la technologie dite du Cloud informatique.
En une phrase, il s’agit de la capacité à utiliser le réseau informatique pour accéder de manière transparente et simple à des ressources : du stockage, des applications, du calcul. Fondamentalement, il n’y a pas de révolution technologique qui se cache derrière ce terme mais plutôt une évolution, voire un nouveau packaging commercial. Car derrière le cloud se joue deux tendances commerciales : la première est représentée par la facturation à l’usage. Pour l’illustrer, prenons l’exemple d’un logiciel type comme Microsoft Word : aujourd’hui, il faut acheter une licence d’utilisation et une copie du logiciel à installer sur son ordinateur : que le logiciel soit utilisé une fois par an ou tous les jours pour des fonctionnalités simples ou évoluées, le prix est le même, celui de la licence. Avec la facturation à l’usage, il est possible d’accéder par le réseau à l’application uniquement lorsque nous en avons besoin avec un coût relatif. Rien à installer, tout se fait par l’intermédiaire du réseau mais rien ne se fait sans le réseau.
La seconde tendance commerciale est de rendre captif les utilisateurs par les données qu’ils utilisent ou produisent. Des services comme dropbox ou icloud proposent du stockage en ligne gratuit et payant, tablant sur la passivité ou la difficulté de l’utilisateur pour changer de service afin de le rendre captif.
Ces tendances ont une même origine : l’arrivée de technologies permettant de mutualiser et de gérer dynamiquement des ressources informatiques dans d’énormes datacenters. Sur le fond, ces technologies ont un but tout à fait légitime : la réduction des coûts par la mutualisation, colocalisation des infrastructures. Ce but s’est fait dépasser par les ambitions et tendances commerciales mentionnées ci-dessus.
Aujourd’hui, il devient courant de stocker ses données dans le cloud : des gigaoctets de stockage souvent gratuits pour de petits usages sont disponibles. Or si il est un axiome dans ce monde, c’est que rien n’est gratuit : si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit ou que quelqu’un d’autre paie à votre place. Et ce quelqu’un d’autre peut tout simplement être la planète.
La pyramide des besoins de Maslow[1] nous illustre que notre soif de besoins est sans limite tendant vers les besoins d’accomplissement pour « mettre en valeur son potentiel » lorsque que les besoins plus vitaux sont assouvis. Et c’est d’ailleurs ce que soulignent les tendances commerciales, mettant en avant la créativité des utilisateurs et des outils permettant de la supporter. En se focalisant sur les outils comme le cloud, nous pouvons oublier que la créativité ne dépend pas des outils (même si il en faut) mais avant tout de sa propre motivation et dimension artistique : ce n’est pas l’appareil photo qui fait le photographe, même si il y contribue. Facebook, Instagram, Outlook, iCloud sont tous des services cloud. En dématérialisant les outils, autrement dit en invoquant l’utilisation du réseau pour y accéder, c’est l’ère du Web 2.0 qui devient mature. Or la conséquence est claire : multiplication des infrastructures informatiques sans raison, augmentation des besoins réseau et consommation d’électricité. Et tout cela pour être dépendant vis à vis du réseau Internet. Plusieurs questions : pourquoi mettre ses données dans le cloud alors que nous n’y accédions que très rarement ? Mettre ses données dans un cloud, donc dans un datacenter quelque part sur la planète, consomme de l’énergie et des ressources même si nous nous ne servons pas de ces données. Pourquoi un jeu comme le nouveau Simcity[2] requiert une connexion internet permanente même pour jouer tout seul soit disant car certains traitements sont réalisés par les datacenters ? Il est certain que le cloud apporte une flexibilité dans l’offre de service qui permet de l’enrichir. Mais quels ont les effets secondaires ? Collecte et analyse des données personnelles, fichage et traçage grâce au Big Data pour la publicité ou d’autres services, impossibilité d’utiliser les outils en mode déconnecté… j’en passe.
Je ne suis pas contre les évolutions, mais si nous regardons les enjeux planétaires de la gestion climatique et des matières premières, il devient urgent de rationaliser nos besoins afin d’avoir un monde durable. Ce que nous faisons aujourd’hui à l’échelle planétaire en informatique, avec la multiplication des datacenters, me rappelle l’utilisation déraisonnée que nous avons du pétrole, et ce grâce à une énorme faiblesse de notre économie qui ne fixe pas les coûts réels des choses en omettant le coût environnemental et celui de l’utilisation durable des ressources.
A ce jeu, nous sommes fort pour nous auto-créer des besoins d’accomplissement : je veux partager mes photos, ma musique, mes fichiers, y accéder depuis n’importe où n’importe quand… mais en fait presque jamais.
La fiabilité d’accès au réseau sera bientôt aussi importante que celle de l’accès à l’électricité ou à l’eau. Serait-ce un nouveau besoin « physiologique » tel que décrit par Maslow ? Ou bien un signe que nous avons définitivement perdu la raison ?
Bonne fin d’année 2012.
[1] http://fr.wikipedia.org/wiki/Pyramide_des_besoins_de_Maslow
[2] http://www.simcity.com/en_US/blog/article/The-Benefits-of-Live-Service