Maj le 01/05/2020.
Nous sommes le mercredi 29 avril. Au lendemain de l’annonce du plan de déconfinement par Edouard Philippe, le doute grandit en moi. Le déconfinement va se faire lentement et révèle que la France n’est pas ni prête ni outillée pour le faire. Le gouvernement a indiqué qu’une capacité de 700 000 tests/semaine serait en place pour le 11 mai. Pourquoi ce chiffre est important ? Comme l’a rappelé le premier ministre, il va falloir tester massivement tout individu qui aurait des symptômes ainsi que les personnes qui auraient été en contact avec lui. Le premier ministre a indiqué que ce nombre de tests/semaine correspondait à l’apparition de 3000 nouveaux cas / jour [leparisien]. Ajoutons aux cas symptomatiques les cas asymptomatiques qui vont faire circuler le virus et on se rend compte que les tests ne peuvent que seulement casser les chaînes de contamination des personnes symptomatiques.
Comment la France se compare-t-elle aux autres pays sur les tests ?
En regardant les statistiques de santé publique France au 23 avril [santepubliquefrance], nous avons le détail des tests réalisés en France depuis le début :
- 137867 tests ont été réalisés par les laboratoires d’analyses de ville (au 21 avril).
- 457287 tests ont été réalisés dans les laboratoires hospitaliers.
Soit un total de 595154 tests réalisés au 23 avril en France.
Pour se comparer, nous pouvons utiliser les statistiques du site [worldometers] qui récapitule les différents chiffres pour tous les pays. Au 28 avril, la France est identifiée avec 463662 tests. Ce chiffre correspond en fait aux tests réalisés dans les laboratoires hospitaliers et ne prend donc pas en compte les tests réalisés dans les laboratoires de ville. Ce même site calcule des indicateurs comme le taux de nombre de tests par million d’habitants du pays. En France, ce taux est de 7103 tests par million de français.
Si l’on regarde le classement selon cet indicateur, la France est 41ème sur 46 pays dans la zone Europe, et 76ième à l’échelle mondiale.
A titre de comparaison :
- L’Allemagne est 21/46 en zone Europe et 31ème à l’échelle mondiale avec 2072669 tests réalisés, et un taux de 24738 tests/million d’allemands, soit plus de 3,4 fois plus que la France.
- L’Espagne est 17/46 en zone Europe et 24ème à l’échelle mondiale avec 1414477 tests réalisés et un taux de 30253 tests/million d’espagnols.
- L’Italie est 16/46 en zone Europe et 23ème à l’échelle mondiale avec 1846934 tests réalisés et un taux de 30547 tests/million d’italiens.
Je mets ici le tableau reprenant les chiffres classés selon le taux de tests pour la zone Europe en date du 29 avril :
Il n’est pas étonnant de voir les petits pays se situer en tête du classement sur le taux de tests. Leur faible population aide à cela. En revanche, on voit des pays comme le Portugal, l’Irlande et les pays nordiques qui sont en avance sur les autres. Enfin, on voit clairement qu’il y a un problème en France, seuls la Grèce, la Bulgarie, la Moldavie, l’Albanie et l’Ukraine étant dernière nous.
Maj du 01/05 : les nouveaux chiffres de santé publique France sont parus et le total tests hospitaliers et de ville a été pris en compte dans le classement de worldometers. Mécaniquement la position de la France s’améliore en passant à la 34ème position à l’échelle européenne et se rapproche de l’UK mais elle reste significativement en retard à l’échelle européenne :
Ces chiffres sont-ils fiables ?
Nous avons vu que le site worldometers ne prenait pas tous les tests réalisés en France, et ne considéraient que les tests réalisés en hôpitaux. Les auteurs indiquent qu’ils essaient de suivre une méthodologie comparable entre pays mais dépendent des états pour avoir les statistiques qui peuvent différer. Cependant, sur la zone Europe, on peut raisonnablement penser que les ordres de grandeurs sont à peu près respectés. J’ai rapidement pu vérifier pour l’UK avec la statistique qui est donnée sur twitter par le ministère compétent [UKstats]. Pour le Portugal, j’ai pu aussi vérifier les chiffres qui sont mis à disposition sur un site officiel [Portugalstats].
Une initiative européenne est d’ailleurs en cours pour avoir une vue harmonisée.
Cependant, il faut garder en tête qu’il y a plusieurs types de tests sur le marché, certains plus fiables que les autres [testcovid19]. Un pays peut réaliser beaucoup de tests rapides sans qu’ils soient fiables et ne servent à grand chose [testcovid19-2].
Pourquoi le taux de tests est important ?
Le taux de tests permet de voir la capacité des systèmes nationaux de santé à faire face à l’épidémie sur la partie tests. On voit ce qui a été fait, et cela n’indique pas la capacité actuelle à faire des tests par semaine. Toutefois, on peut raisonnablement penser qu’un pays qui a su faire des tests en quantité pourra continuer à augmenter sa capacité à en faire : il y a un acquis et une projection qui nécessite du personnel, du matériel… et comme pour les masques, tout le monde est en concurrence pour s’équiper.
Faire des tests, c’est être capable d’identifier les chaînes de contamination et les casser en plaçant à l’isolement les personnes positives. Et comme il y a beaucoup de cas asymptomatiques, seuls les tests peuvent nous aider à contrôler, à isoler et casser les chaînes. Ces chiffres montrent que la France n’a pas pu faire/ou n’a pas voulu faire des tests de manière généralisée avant et pendant le confinement, ni n’a pas mis en place des stratégies d’isolement généralisé des cas identifiés faute de les avoir identifiés. La conséquence est que de nombreux cas se sont multipliés dans les familles, notamment pauvres, pour lesquelles la promiscuité est plus élevée comme évoqué ici [Seinesaintdenis]. En l’absence de capacité de tests et avec des porteurs asymptomatiques, le confinement aurait du être décidé bien plus tôt et des événements du type élections municipales n’auraient pas du avoir lieu.
On peut aussi relativiser ce taux dans des pays où l’hygiène individuelle et la rigueur de comportement est forte, comme au Japon.
Pourquoi cette situation en France ?
C’est le 16 mars que l’OMS a lancé son fameux « test, test, test » [WHOtest]. Ce message est à destination de tous les pays, surtout ceux qui sont les moins avancés et équipés. L’Allemagne n’a pas attendu : dès le 26 mars, 500000 tests/semaine étaient déjà possibles [allemagne500k] (sachant qu’à fin avril, on y est à peine en France).
Je remarque deux éléments majeurs qui expliquent cette situation en France :
- La France n’est pas équipée correctement pour réaliser des tests médicaux à grande échelle et n’a pas la filière industrielle pour le faire, contrairement à l’Allemagne et à d’autres pays. Nous payons la désindustrialisation voulue par nos gouvernements de ces 40 dernières années et l’optimisation en flux tendu (lean management) de notre système de santé voulue, y compris par le gouvernement actuel. La production nationale de tests est faible et produite à l’étranger [Industest]. C’est aussi la traduction d’une politique historique qui fait que notre tissu de laboratoires privés est peu armé pour les analyses de biologie moléculaire [Industest2], qui correspondent aux fameux tests PCR qui sont les plus fiables pour la détection du Covid-19.
- La France a sous-estimé le virus et n’a pas pris les mesures dans les temps face à la pénurie de tests et de masques (confinement trop tardif, pas de stratégie de tests massifs et isolement des personnes positives).
Pour rappel, cette vidéo essaie de reprendre les éléments de contexte du début de l’épidémie :
Quelles conséquences ?
Le fait que l’on ait confiné trop tardivement avec la pénurie de masques et de tests a clairement généré une surmortalité évitable et rallongé le confinement. Alors j’entends bien que la décision ne devait pas être facile à prendre fin février, alors que l’on attendu le 17 mars, mais elle engage la responsabilité de l’ensemble des parties impliquées (président, gouvernement, parlement, conseil scientifique, ANS). Comme indiqué par la vidéo, les éléments factuels pour prendre une telle décision étaient connus fin février. L’exemple le plus critique est l’organisation du premier tour des élections municipales où, déjà, une partie du personnel soignant tirait le signal d’alarme pour ne pas faire cette élection.
Au moment du déconfinement, comparativement, nous sommes ainsi moins bien équipés que nos voisins et mécaniquement, cela voudra dire que le déconfinement sera plus difficile et plus lent en France. Les conséquences économiques seront d’autant plus fortes. Et tout cela parce que l’on n’aura pas su garantir des stocks de nécessité, ni un système industriel supportant ce qui est vital pour une société : la santé. Il est urgent de revoir comment un pays comme la France est géré.
Gouverner, c’est prévoir. Ne rien prévoir, ce n’est pas gouverner, c’est courir à sa perte.
Émile de Girardin 1846, [girardin].