Dernièrement, j’ai été assez étonné que le président Macron fasse référence au choix incontournable de l’adoption de la 5G, un tournant de l’innovation, et que les détracteurs ne seraient que des défenseurs de l’utilisation de la lampe à huile et du mode de non-développement Amish.
Cette position populiste, digne de Trump, cache le complexe débat qu’il y a entre progrès et innovation mais cache aussi la complexité d’une technologie 5G et de ses usages.
La 5G est une évolution technique dans la transmission des données des réseaux mobiles. Cette évolution apporte un nombre très significatif de nouvelles fonctionnalités, incluant :
- Des fonctionnalités d’économies d’énergie qui permettent d’éteindre plus efficacement les équipements radios lorsqu’ils ne sont pas utilisés.
- La capacité à exploiter des bandes de fréquences additionnelles telles que celles des 3,5 GHz et 26 GHz.
- Le recours à des antennes Massive MIMO avec des technologies de beam/faisceaux dans les fréquences 26 GHz.
- La possibilité de segmenter le réseau 5G en réseaux étanches permettant des performances différenciées selon les usages.
Toutes ces fonctionnalités amènent des avantages et des inconvénients. Par exemple, comme mentionné ici par Ericsson [Ericsson], les fonctionnalités d’économies d’énergie apportées par la 5G permettent de diminuer la consommation d’énergie des stations de base en mixant à la fois 4G et 5G pour les fréquences de la bande des 3,5GHz : la bande 5G permet de décharger les fréquences 4G (et donc augmenter la possibilité d’en réduire la consommation dans la limite de la technologie 4G) tout en étant très agile sur sa propre consommation. Malheureusement, les nouvelles antennes 5G (avec technologies massiveMIMO) sont beaucoup plus complexes (avec plein de mini-antennes) et leurs implémentations s’avèrent beaucoup plus consommatrices en énergie : la Chine, très en avance dans le déploiement de la 5G, le démontre assez tristement : [MTN] les sites radios 5G peuvent consommer jusqu’à deux fois plus que les sites 4G (tout en permettant de faire transiter bien plus de données). Les études d’Orange et d’Ericsson disent même que ce rapport peut monter jusqu’à 3 mais que l’amélioration de la technologie est en marche avec une projection d’une inversion du ratio avec 25% à l’horizon 2022 [Orange].
Au final, la projection est de diviser par 10-20 la consommation d’énergie par bit transporté mais ce chiffre relativise la consommation d’un réseau à la quantité de données transportées en croissance exponentielle ce qui ne permet pas vraiment de conclure sur une baisse de consommation du réseau par an.
Avec l’introduction des fréquences 26 Ghz, le nombre d’antennes va drastiquement augmenter : plus une fréquence est élevée, moins elle porte. Il y a un donc compromis à trouver pour assurer une couverture : les antennes 26 Ghz consomment moins à priori mais seront bien plus nombreuses (à chaque coin de rue ?) : et il n ‘y a pas encore de certitudes sur la stratégie à adopter [IEEE].
C’est d’ailleurs expliqué par Ericsson qui indique que la façon de déployer le réseau 5G doit être considéré totalement différemment des réseaux précédents pour en assurer les gains énergétiques : il ne s’agit pas de remplacer les antennes existantes par des antennes 5G mais de revoir totalement la place des antennes sur le territoire, notamment avec la multitude de petites cellules 26 GHz sur certains territoires [Euractive].
Au final, la technologie est complexe et les gains dépendent de beaucoup de paramètres : implémentation matérielle/logicielle qui n’est pas encore mature, schémas de déploiements qui peuvent valider ou invalider la baisse de consommation des sites ou la baisse de consommation par bit transporté : usage de la bande 3,5 Ghz (celle qui est mise aux enchères ce mois ci) en complément de la 4G, la transformation des fréquences 4G actuelles en 5G mais posant la question épineuse du renouvellement des terminaux, et l’usage très polémique de la bande 26 Ghz. En fait, on manque clairement de recul sur les gains réels par site radio et les gains par bit transporté. Dans tous les cas, les gains ne sont pas pour demain et dépendront de l’adoption massive de nouveaux terminaux compatibles 5G dont on taira leur impact environnemental catastrophique.
Tout cela pour quoi ?
L’explosion de l’usage des données sur les réseaux mobiles est clair. Cette explosion est assez liée à la consommation de streaming video en lien avec les réseaux sociaux sur les terminaux mobiles. Et quand il s’agit de regarder la consommation d’énergie des réseaux pour faire transiter des données, la fibre optique est de loin la technologie la plus efficace que les technologies radios [GEA]. Du coup, à partir du moment où la fibre optique sera déployée partout, l’usage des réseaux mobiles 5G pourrait être remis en cause plus sérieusement : l’augmentation de l’usage des réseaux mobiles n’est pas inéluctable : c’est une question d’arbitrage et de conception des services au regard des connectivités disponibles à un endroit donné (fibre, wifi, réseau mobile, réseau satellitaire).
Un autre usage est lié aux machines et aux innovations liées au big data et à l’automatisation où les machines (terminaux, engins agricoles, robots, voitures autonomes etc…) vont faire transiter une quantité d’informations croissante de données pour les exploiter dans des centres de données. Là encore, il y a débat sur l’usage de données personnelles, l’impact de l’automatisation ou simplement la conception/optimisation même des systèmes que l’on souhaite mettre en place : une voiture autonome qui aurait besoin d’être connectée est-elle vraiment autonome ?
En conclusion, la technologie 5G est complexe et diverse : différentes façons de déployer le réseau existent avec des avantages et des inconvénients. Le déploiement de la 5G a lieu en parallèle du déploiement de la fibre optique et nous pouvons nous interroger du besoin d’avoir autant de connectivité mobile partout. Enfin, il y a la question de l’usage et de l’optimisation de ce que nous déployons où nous devons nous interroger du modèle de développement soutenable/compatible avec notre planète. Dans tous les cas, il n’est pas délirant de vouloir y voir plus clair (avec un moratoire), d’avoir un plan et une stratégie sans pour autant se contenter d’une lampe à huile.
Mais peut-être que la vérité est ailleurs avec un état qui vend des licences à des sociétés, qui vont exploiter des réseaux et acheter des équipements à d’autres sociétés, tout en favorisant le renouvellement des terminaux fabriqués par d’autres sociétés, alimentant de facto le PIB des pays des sociétés concernées… Sacré PIB…