Il y a deux mots qui reviennent souvent dans ma tête : hypocrisie et entreprise. Je perçois l’hypocrisie du gouvernement et l’hypocrisie des français quand il s’agit de considérer l’entreprise.
L’hypocrisie du gouvernement est de manier le paradoxe de vouloir favoriser l’emploi en même temps que la réduction de son propre rôle dans l’économie. Pour moi, c’est complètement antinomique. Un gouvernement fort est un état qui orchestre, influence et dirige les activités économiques. Il donne une direction, un plan et il organise la structure économique pour que ce plan se réalise. C’est la force publique. En regardant dans un proche passé, nous avons des exemples des résultats de cette force publique : les grands fleurons industriels français sont presque tous son reflet : le TGV, Airbus, Orange, EDF/Areva, Thales, Alcatel, Alstom… Avec la libéralisation, nous avons ouvert le capital de ces fleurons pour leur permettre de partir à la conquête de marchés internationaux. De cette ouverture découle le tournant ultralibéral structuré autour de l’organisation mondiale du commerce dont la « principale fonction est de favoriser autant que possible la bonne marche, la prévisibilité et la liberté des échanges ». Rien de protecteur, il faut que le monde soit fluide : le plus compétitif gagne, peu importe si les conditions sociales et environnementales ne sont pas prises en compte. Vouloir prendre des parts de marchés chez le voisin implique que son propre marché soit ouvert par réciprocité. Et selon l’influence des pays, et donc selon la force des politiques dans les pays, cette réciprocité est à géométrie variable. Et j’ai de gros doutes sur la force des politiques en Europe, surtout en France.
Suite à la COP 21, nous aurions pu imaginer que le monde avait pris conscience qu’il fallait organiser de manière beaucoup plus forte la façon dont l’économie fonctionne : passer d’un ultralibéralisme à un interventionnisme. Il n’est pas tenable de faire la course à la croissance économique au mépris des ressources limitées de notre planète exsangue. Et c’est encore moins tenable de favoriser un système où la valeur créée par cette croissance ultralibérale est soustraite à l’impôt et au reversement collectif. Il est illusoire de penser que les grands groupes capitalistiques soient suffisamment motivés pour être moteur d’un changement économique qui ferait que leurs propres revenus s’effondreraient. Prenons un exemple avec EDF en France : nous savons tous que l’avenir est dans la réduction de consommation électrique. Cela passe par l’isolation des bâtiments, l’usage d’équipements économes et des changements d’habitudes. Or, ce n’est pas dans l’intérêt d’EDF de diminuer la consommation. Et EDF ne pousse pas dans ce sens, car le boulet du nucléaire (et de son démantèlement) est un gouffre financier qui viendra plomber nos finances. Point d’avenir pour EDF seul.
Le gouvernement est hypocrite quand il dit qu’il veut favoriser l’emploi en France en favorisant les grands groupes, avec les subventions et autres crédits d’impôts (Crédit d’impôt recherche). Dans un monde ultralibéral, un réel emploi est un emploi non délocalisable qui a un sens social. C’est à l’échelle locale que tout se joue et c’est aujourd’hui le parent pauvre. Rien n’est fait pour favoriser l’emploi local : de l’agriculture à l’artisanat. De plus, donner des subventions à un grand groupe, c’est augmenter le dividende des actionnaires qui font le plus de marges possibles au détriment de ses sous-traitants. Penser qu’EDF utilise cette méthode avec ces sous-traitants qui réalisent la maintenance des réacteurs ou bien qui construisent ses centrales me fait froid dans le dos.
Mais en même temps, les français sont aussi hypocrites. En tant que consommateurs, le réflexe du qui est le moins cher fait ravage : peu importe si les produits sont faits par des enfants dans un pays sans protection sociale… On fait les aveugles et on préfère ne garder en tête que le prix sur l’étiquette en euros. On accueille de nouvelles façons de consommer, comme l’ubérisation, sans réellement réfléchir à ses conséquences. Uber est le parfait exemple : pas de salarié Uber chauffeur de taxis, chaque chauffeur est indépendant et dépend, pour sa survie, d’Uber et des conditions du marché. Rien ne garantit les prix, ses marges et sa survie ni même les conditions qu’Uber lui inflige. Le pauvre chauffeur prend tous les risques et doit toujours faire plus pour survivre. Pour moi c’est tout le contraire de ce qu’est l’entreprise : c’est à dire une affaire privée en vue de produire des biens ou services, qui repose sur ses salariés avec une mutualisation du risque et une démarche solidaire. Les français sont hypocrites car ils votent pour des gouvernements qui ont la même ligne politique depuis des années mais appellent à une plus grande protection et à un plus grand changement.
Qui pense collectif aujourd’hui ? Qui pense entreprise ?
Nous sommes à la croisée des chemins : soit la politique reprend la main sur notre destinée, soit on fait confiance à une intelligence collective ultralibérale. J’ai de sérieux doutes sur la seconde proposition.