Je suis plus que sceptique devant le « tout sans fil » que l’industrie des objets nomades est en train de nous inventer. Nous avons aujourd’hui des objets qui sont puissants, qui ont beaucoup d’espace de stockage, qui peuvent jouer des vidéos en 4k, mais qui sont incapables de gérer une qualité sonore moyenne. Et quand je parle de qualité sonore moyenne, je fais référence à la qualité du bon vieux compact disc, à savoir une qualité numérique 44.1Khz/16bits.
Un grand public qui s’en fout et des marchands qui font du marketing : logique ?
Aujourd’hui, les plateformes de streaming et les vendeurs de fichiers numériques fournissent de la musique compressée avec pertes : que ce soit du mp3 ou du aac, on est en deçà de la qualité CD qui a plus de 30 ans (qui elle-même n’est pas parfaite). Il est vrai que la différence de qualité entre un fichier non compressé et compressé est parfois difficile à identifier : cela dépend de la qualité des écouteurs, de la qualité du convertisseur numérique-analogique (DAC), de son ampli, de la qualité de la musique écoutée et de la sensibilité de la personne qui écoute.
Et si il y a une chose qu’il faut considérer : c’est la chaine complète de reproduction sonore, comme le terme chaîne HIFI le sous-entend. Et de ce point de vue, la transition vers le tout sans fil me désespère. Je peux comprendre la volonté de vouloir supprimer les câbles. En effet, il n’est pas rare que je râle avec mes écouteurs dont les câbles sont emmêlés. Mais ce confort supplémentaire se paie très cher, tant en prix qu’en qualité. En prix car cela permet aux différents vendeurs de ces objets de vendre plus cher des composants redondants, et en qualité car c’est toujours le parent pauvre de ces solutions.
Prenons un exemple avec la marque la plus puissante du monde : Apple. Apple impose avec son iPhone 7 la disparition du port jack. Comparons les chaînes :
- Avec un port jack, c’est l’iPhone qui doit faire la conversion numérique analogique (DAC) et qui doit amplifier le son vers l’interface analogique. Les circuits de conversion et d’amplification seront donc utilisés pour tous les périphériques connectés sur le port jack. Aucune évolution possible mais la chaîne est la plus courte et les écouteurs sont alimentés par le smartphone.
- Sans port jack, mais avec un adaptateur lightning-jack, c’est ce petit adaptateur qui fait office de DAC et d’amplification pour pouvoir envoyer un signal audio analogique. Cela ne change pas grand chose, si ce n’est que le port lightning ne peut plus être utilisé en même temps que l’on écoute de la musique.
- Sans port jack et en mode sans fil, le signal numérique est compressé selon la norme bluetooth qui est utilisée. Typiquement, en aac ou bien en aptX, qui sont des formats avec pertes. Le signal est ensuite envoyé vers le périphérique bluetooth, qui doit décompresser, convertir en analogique et amplifier le signal vers les écouteurs. L’iPhone 7 quant à lui dispose toujours d’un DAC et d’un circuit d’amplification pour utiliser les micros et hauts parleurs intégrés. Les écouteurs deviennent actifs, et doivent être alimentés en énergie. Le DAC, circuit d’amplification et écouteurs sont maintenant indissociables au casque. Si un bon DAC ou bon circuit d’amplification est utilisé, il ne pourra être utilisé que pour le casque avec lequel il est intégré.
Apple se vante d’utiliser son circuit W1 bluetooth afin d’optimiser l’expérience audio. Aucune spécification n’est réellement disponible actuellement. Il s’appuie sur les normes bluetooth existantes avec des extensions pour gérer les appariements facilement. Sur le codec utilisé, aucune information. Seul SONY utilise un codec standardisé permettant de ne pas détériorer un signal de qualité CD. Chez Apple, le standard, c’est le format aac. Et si il y a bien une chose qu’il faut absolument éviter, c’est de recompresser un fichier déjà compressé. Et c’est exactement ce qu’il se passe ici. Ce qui est terrible, c’est que des clients vont mettre beaucoup d’argent dans des casques avec des circuits DAC/amplification qui s’appuieront sur un signal numérique dégradé.
Une approche marketing et technique qui pourrait pourtant être parfaite
Il n’y a pas vraiment de limitation technique à ce problème. Du bluetooth haute qualité, cela est possible avec aptX, et il n’y a plus vraiment de problème de bande passante. Un objet comme l’iPhone 7 est capable de gérer des fichiers de qualité CD voire plus. Non, le problème est dans la fainéantise de cette marque qui ne vise plus l’excellence mais uniquement l’épaisseur de sa marge.
La disparition du port jack est un débat. Il y a des arguments positifs et négatifs. Pour moi, le grand avantage du port jack est avant tout sa solidité et son universalité. Sur un objet comme un smartphone, je sais que le DAC et l’ampli sont de faible qualité et pour en entendre les limites, il faut utiliser des casques de plus grande qualité que celle des écouteurs fournis par défaut. Mais un bon casque jack que je peux utiliser avec mon smartphone, je peux aussi l’utiliser avec un lecteur DAC de compétition ou bien à la sortie de mon ampli de salon avec un vrai saut qualitatif. Ce sera difficile avec le casque sans fil, dont le caractère sans fil/composant intégré limite le champ des possibles.
Un casque apple Beats Solo 3 coûte 300€. Un casque HIFI avec fil (focal Spirit Classic) coûte environ 250€ avec une qualité musicale qui est totalement différente de celle fournie par Beats (qui n’a jamais voulu faire de la qualité). Le casque avec fil a une durée de vie potentiellement infinie contrairement au Beats, dont la batterie est un composant à durée de vie limitée. Je continue ?
Des choix différents auraient pu être faits, mais cela n’aurait pas été aussi profitable : si des personnes sont prêtes à mettre des centaines d’euros dans des objets qui sont limités, non pérennes et non évolutifs… et bien soit. Sur le marché de la musique, nous assistons déjà à la guerre du volume (avec les faibles dynamiques et les sons forts) qui se fait au détriment de la qualité, les formats compressés qui continuent de tuer cette pauvre qualité et enfin, un décalage de valeur de la qualité vers l’usage marketing où ce n’est plus la qualité qui fait le prix mais le côté m’as-tu-vu.
Heureusement, le qualitatif n’est pas mort : des formats audio ouvert sans pertes comme le FLAC existent. Des formats studio masters sont encore vendus (merci Qobuz ou bandcamp). Et surtout il y a encore des constructeurs qui poussent la qualité avec un prix qui devient comparativement accessible à celui qui s’abandonne aux sirènes du marketing consumériste. Alors pourquoi faire le choix du facile et pourri alors que pour le même prix, la qualité est là ?
Pour aller plus loin :
http://blog.son-video.com/2015/08/bluetooth-apt-x-sbc-aac-ldac-ce-quil-faut-savoir/