Stigmatisation

Il y a des contradictions dans le comportement humain qui peuvent expliquer beaucoup de choses. La peur de l’inconnu ou de la différence, la peur de comprendre sont des motivateurs très puissants pour l’émergence de comportements radicaux.

La stigmatisation opérée aujourd’hui par nos politiciens est un exemple terrible d’une manipulation vicieuse des motivations d’un peuple. Mais que veut dire stigmatiser aujourd’hui ? Pour moi, stigmatiser c’est mettre en lumière de façon partiale des éléments qui finissent par déformer l’idée ou l’image que l’on peut se faire d’une situation. Stigmatiser les étrangers ou français d’origine étrangère n’a de sens que pour servir un dessein politique : ce que réalise aujourd’hui le monde politico-médiatique (que je considère comme une entité) sur les roms, sur la déchéance de la nationalité, sur le débat sur l’identité nationale pourrait être l’objet du hasard basé sur une maladresse politique. Je n’y crois pas. Les politiques ne sont pas aussi bêtes. Cette stigmatisation fait donc partie d’un plan, très dangereux. Pourquoi ?

Stigmatiser, c’est avant tout manipuler et généralement pour mettre les uns contre les autres. Le principe du diviser pour mieux régner s’applique. Je peux comprendre une telle approche par rapport à des ennemis pour renforcer une certaine mobilisation, mais l’appliquer de manière aveugle sur la société même peut avoir des effets totalement incontrôlables. Par exemple, cela peut favoriser les tensions entre communautés d’une société en rappelant à chacun ses différences dans un contexte de très grande difficulté sociale : les esprits arrivant à saturation, il faut qu’une soupape intellectuelle intervienne et cette soupape est génératrice de comportements favorisant le repli qui autoalimente le radicalisme : que ce soit dans la violence des personnes en difficulté, ou pour les extrémistes de tout poil voulant imposer leur volonté aux autres.

Certains disent que la stigmatisation sur les étrangers et sur l’identité nationale est une sorte d’écran de fumée politique pour cacher les affaires ou des travaux plus importants. Dans ce cas, c’est comme employer une bombe atomique pour tuer les moustiques : mettre dans la balance la santé sociale de la nation est un signe que nos politiques ne sont plus au service de cette nation.

Stigmatiser pourrait être aussi un jeu politique afin de favoriser l’extrême droite et rassurer ceux qui ont peur des autres et de l’avenir (le fameux « c’était mieux avant » quand on n’était qu’entre nous, sachant que ce avant n’a jamais existé réellement car étant une construction factice de notre mémoire cerveau). Cela veut dire que la politique n’existe plus et que seul l’exercice du pouvoir compte.

Dans les deux cas, j’enfonce des portes ouvertes et le constat est terrible. Cependant, il faut revenir sur le pourquoi du fonctionnement de la stigmatisation.

L’humain doit assurer sa survie, et dans notre civilisation de capitalisme, on lui a enseigné qu’il devait protéger ses biens. La stigmatisation peut être vue comme une menace : l’inconnu et la différence font peur : dois-je partager mon pain avec quelqu’un d’autre ? En d’autres termes, la stigmatisation s’appuie sur l’égoïsme et la volonté de garder le contrôle tout en sachant que ce contrôle n’existe pas. Une autre contradiction peut être énoncée ainsi : avoir peur d’une minorité dans un monde supposé de plus en plus global n’a pas de sens étant donné que la minorité ne représente rien par rapport au global. C’est d’ailleurs triste qu’avec ce genre de raisonnement on se focalise uniquement sur des épiphénomènes au lieu de considérer les éléments réellement impactant nos sociétés. Autrement dit, il est facile de stigmatiser sur les roms qui ne représentent pas grand-chose alors qu’en même temps des milliards d’individus crèvent la dalle sans que l’on y pense.

Le film « The Road » propose une vision intéressante de l’humanité dans un contexte où tout bien matériel a disparu et où seule la survie compte. Entre les bandes qui se rassemblent pour tuer et manger les autres, comment la compassion et la bonté peuvent subsister ? Toucher à nos intérêts et à notre chair peut provoquer une réaction reptilienne de survie effaçant toute raison ou sentiment aux actions.

Bien entendu, cette vision est terminale, comparée à la stigmatisation à laquelle je fais référence. Mais elle n’est pas si éloignée. Finalement c’est mettre la compassion en balance avec ce que l’on possède, ou ce que l’on peut perdre ou gagner comparé à l’autre.

Il est difficile de changer de point de vue quand l’esprit s’enferme dans la jalousie ou dans la croyance du « Je vaux mieux que l’autre ». Retourner les points de vue est un effort de réflexion pas tout le temps réalisable : il faut se détacher, le vouloir et l’accepter. Moi-même, je me surprends à me faire aveugler par des stigmatisations, pensant avant tout à favoriser ce que je possède.

Au-delà de la suffisance des besoins vitaux, la notion de propriété rajoute une dimension supplémentaire propice à stigmatiser.

Encore une fois, tout cela n’est qu’une question pour riches, que nous sommes.

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