La crise économique qui traverse l’Europe, et la Grèce en particulier, me laisse un sentiment de malaise.
Malaise car je commence à mettre des visages et des chiffres sur cette crise que nous n’imaginons pas vraiment, vue de la France. Cela fait un peu plus de trois ans que j’ai l’occasion de travailler avec des universitaires grecs dans le cadre d’un projet de recherche européen. Pendant ces trois années, j’ai bien vu la régression économique survenir jusqu’à ma visite de la semaine dernière. Le centre touristique d’Athènes reste relativement épargné mais la pauvreté dans les rues montre de plus en plus sa vérité : sdf, joueurs de rues, mais aussi boutiques définitivement fermées font partie d’un paysage de plus en plus généralisé. De manière contradictoire, la classe aisée d’Athènes est toujours là, que ce soit avec les voitures haut de gamme ou les boutiques de luxe. Toutefois, en discutant avec mes collègues, ce que les médias français avaient rapporté concernant l’exil des grecs vers les campagnes pour reprendre l’agriculture est terriblement vrai. Dans le département Informatique de l’Université d’Athènes, 12 des 42 professeurs ont quitté unilatéralement leur poste cette année pour rejoindre leur famille en campagne afin de subvenir à leurs besoins primaires. L’équation économique (baisse des salaires et augmentation des taxes) devient invivable pour beaucoup de grecs qui ont pourtant des situations… extrêmes où tout le système part en vrille.
Pourtant, je n’avais jamais travaillé avec des grecs et encore moins visité leur pays et avec le recul de ces dernières années, et c’est une expérience positive dont je me souviendrai très longtemps.
Mes amis grecs sont motivés. Pour l’expliquer, il suffit de comprendre qu’il y a très peu de postes de chercheurs financés par l’état grec et pour qu’un laboratoire puisse vivre, il doit trouver des financements. Ces derniers proviennent soit de contrats avec des industriels, soit de contrats de projet de recherche européen. Dans les deux cas, il est important pour les chercheurs de devenir attrayants afin d’être à la fois reconnus et parties prenantes de nouveaux projets. La plupart des étudiants en thèse de Master et de Doctorat sont financés par ces projets. Cela explique en partie la force qui anime mes amis chercheurs grecs dans les activités : force de proposition, véritable locomotive de projet. Mais cela n’explique pas tout.
Mes amis grecs sont curieux. Cela se ressent à la fois avec les personnes avec qui je travaille et celles que nous pouvons rencontrer à Athènes dans la vie de tous les jours. Il suffit de démarrer une conversation avec un serveur ou un chauffeur de taxi et beaucoup de questions sont posées. Ce qui peut passer pour un exercice de politesse n’en est pas un car j’ai bien ressenti le désir véritable de curiosité : pour en savoir plus, pour se situer dans le monde, pour comparer. En ces temps troublés, ce sentiment est probablement exacerbé. Inversement, les grecs sont aussi fiers de partager l’histoire et le patrimoine de leur pays avec une bonne humeur et envie communicative.
Mes amis grecs sont généreux. Tout d’abord cela se traduit par l’attention qu’ils portent aux autres. Je suis allé à Athènes trois fois une semaine. Mes amis ont tout le temps été disponibles pour partager du temps en journée, les soirs ou aux restaurants. Toujours prêts à aider, cette chaleur fait chaud au cœur et donne l’envie de revenir. Ce qui est vrai à Athènes l’est aussi ailleurs. Car dans nos multiples déplacements dans les villes européennes, cette attention est toujours présente. Ce n’est donc pas une hospitalité renforcée mais bien une façon de vivre, basée sur la simplicité et l’honnêteté.
Mes amis grecs sont amicaux. Il est étonnant de trouver sur le bureau de sa chambre d’hôtel une lettre générale du directeur expliquant que la Grèce reste un pays ouvert et amical au monde et aux touristes [malgré la crise] et qu’il nous remercie de notre venue et de notre potentielle promotion de la visite de notre pays. Cependant, cette amitié, je l’ai rencontrée. Pouvoir partager des moments de vie dans un café sur la terrasse d’un bâtiment en face de l’acropole à 2 heures du matin, cela crée ou met en lumière des liens : valeurs en commun, citoyens d’une même Europe à l’héritage divers, à la fois antique et contemporain. Malgré une orthodoxie grecque bien présente, je me sens très proche d’eux, comme des frères.
Certes mes amis grecs ne représentent pas tous les grecs. Et selon l’aveu de l’un d’entre eux, beaucoup de grecs se tournent vers le passé pour fuir ce que la troïka leur impose aujourd’hui, avec l’extrémisme en résultat d’une défiance vis à vis des politiciens. Et ce qui est en train de leur arriver est grave. Et ce qui l’est encore plus, c’est qu’aucune solution alternative ne soit mise sur la table.
A mes amis, aux cœurs européens.