Cela fait des semaines que le débat sur les migrants s’éternise. Entre hystérie médiatique et pornographie émotionnelle, le cirque continue encore et encore. Il y a eu LA photo de l’enfant mort, superbe œuvre artistique et reflet dégueulasse de l’humanité. La photo est réussie, elle dérange et elle est instrumentalisée, comme tout élément politique. C’est ainsi que fonctionne l’être humain. Je lui préfère cette photo de ce gamin arrivant à Munich.
Elle est connectée avec mon identité européenne : cela me touche. Chacun sa sensibilité.
Je suis mal à l’aise et le seul réel enjeu est : aider les nécessiteux, quels qu’ils soient, est-ce possible ?
Tout d’abord un constat : je suis riche.
Tous mes besoins fondamentaux sont couverts et je couvre la plupart de mes besoins complémentaires. Et l’observatoire des inégalités confirme que je fais partie de la catégorie « Riche ».
Pire, je ferais même partie des 10% les plus riches (http://www.inegalites.fr/spip.php?page=salaire). Alors, la question de venir en aide aux défavorisés est légitime. Différents éléments de raisonnement font écho à cette question :
- Je n’ai pas le sentiment d’avoir volé mes revenus. Ce n’est pas moi qui fixe les salaires. Aujourd’hui, je suis payé en fonction de mes diplômes, de mon expérience, de ma valeur sur le marché du travail. Toutefois je questionne les différences de salaires entre les différentes professions. Aujourd’hui, un des critères de réussite prôné par le système est lié au niveau de vie. C’est la carotte pour faire avancer l’homme sur le chemin de la production. Et je bosse pour y rester. Certaines personnes ayant le même niveau de qualification que moi gagnent le double ou plus, certaines gagnent moins. Heureusement, chacun sait que réussir sa vie n’est pas lié complétement à son salaire.
- Par mes impôts, je participe à l’effort de solidarité nationale. Ce n’est pas anodin, avec par exemple un impôt sur le revenu qui correspond à deux mois de salaire, sans compter les autres impôts.
- Je pourrais faire plus pour ceux qui sont dans le besoin. Aujourd’hui, je soutiens des associations. La question est comment définir la limite entre ce que je partage et ce que je garde pour moi ? Dois-je continuer à épargner pour envisager d’acheter ma résidence principale un jour ou tout donner à des œuvres ?
Les migrants font partie de ces nécessiteux qu’il faut aider mais il faut toujours définir une limite.
En tant qu’individu, je n’ai pas beaucoup de solutions. Je ne peux pas me résoudre à accueillir personnellement un migrant. Et si je le faisais, ce serait difficile de définir le « pour combien de temps ». En tant que citoyen, je souhaite que l’état, avec mes impôts, prennent en charge ces nécessiteux. Et personnellement, j’aide des associations. La vraie question est : est-ce que cette prise en charge est suffisante ? J’ai entendu beaucoup de personnes mentionner « nos » SDF pour qui on ne ferait pas déjà assez. L’accueil des migrants ouvrirait des portes qui seraient fermées pour les « locaux ». Avec l’exploitation médiatique des migrants, il est probable que certaines portes fermées s’ouvrent. Car il faut que les gens ouvrent les yeux pour que les actions suivent. Et nos SDF en bénéficieront mécaniquement. Toutefois, je pense que toute la chaîne de solidarité est surchargée et que même si un effort supplémentaire est réalisé aujourd’hui, il y aura toujours une limite à établir entre « qualité d’accueil » et nombre de nécessiteux. Si un pays souhaite garder sa structure sociale, il ne peut pas accueillir toute la misère du monde. Mais devons-nous garder notre structure sociale ?
Migrants politiques ou économiques : notre responsabilité.
Cette distinction fait partie de cette limite à fixer. Il y aurait une obligation morale à accueillir tous les migrants politiques (qui fuient leur pays pour raisons politiques). Il y aurait moins d’obligation à accueillir les migrants économiques (qui migrent pour avoir de meilleures conditions de vie). Toutefois, en tant que pays colonialiste, capitaliste, et en tant que consommateurs de produits aux valeurs morales très incertaines, nous avons une responsabilité envers les pays que nous exploitons… Au travers des grandes multinationales, de la corruption de nos politiques, et des biens qui en découlent… biens que nous sommes bien heureux de consommer. Et sur la question des migrants syriens, libyens ou irakiens, je partage l’avis de Michel Onfray sur le fait que si le chaos existe en Irak, Syrie, Libye etc… c’est avant tout parce que les occidentaux, les USA en tête, ont fait n’importe quoi là bas. Nous avons donc une certaine responsabilité collective et il faut l’assumer.
Une question de valeurs morales et de notre rapport à la propriété (et donc au capitalisme).
Selon wikipédia, « Une valeur morale est une idée qui guide le jugement moral des individus et des sociétés. Les valeurs morales forment un corps de doctrines, qui prennent la forme d’obligations qui s’imposent à la conscience comme un idéal ». Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui je sois capable d’une indifférence sélective ? Et d’une générosité sélective ? Cette part d’égoïsme est probablement liée à la nature humaine. Toutefois, je trouve que notre civilisation occidentale basée sur la notion de propriété exacerbe cette compétition entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas. Je veux ma maison, ma voiture, mes biens… alors que des personnes ne sont pas en position de posséder quoique ce soit. Et quand bien même je possède une maison, il y en aura de plus grandes, de plus belles qui me seront inaccessibles. Pouvons-nous soigner cette folie de posséder et de consommer, le capitalisme (https://fr.wikipedia.org/wiki/Capitalisme) ? Aujourd’hui, nous prenons conscience des ressources limitées de notre planète et que l’accumulation et la croissance (telle que calculée aujourd’hui) n’ont plus vraiment sens. Au delà des différences entre les êtres sur la planète, il y a encore moins de biens à se partager dans le futur. Il est grand temps de faire notre (r)évolution de la propriété et du capitalisme sous peine de définitivement laisser tomber toute ou partie de l’humanité. Cependant, même si j’écris ces lignes, j’ai du mal à m’en convaincre et à changer ma façon de vivre.