Après avoir mis mon manteau, je faisais une bise à ma mère et le temps était venu pour moi de prendre le chemin de l’école. A cette époque, nous habitions en appartement. Situé sur les hauteurs de rive de Seine, le chemin démarrait par une grande descente au milieu de cèdres. J’avais le choix entre des escaliers casse-pattes, et une pente douce qui serpentait au milieu des arbres. Je faisais mon choix selon mon humeur mais j’avais bien conscience que prendre le plus court chemin n’était pas forcément la bonne chose. J’aimais prendre mon temps, et profiter de mes sens pour vivre ce parcours. Arrivé en bas, je devais traverser la Seine sur un pont où il ne faisait jamais chaud. La pire des situations se matérialisait quand il pleuvait, où le vent porté par l’eau garantissait d’être mouillé à tous les coups. Une fois la Seine traversée, j’avais de nouveau le choix : soit un chemin au travers d’un quartier résidentiel, soit de passer par la place du marché. J’ai toujours aimé traverser le marché quand il était ouvert. C’était un plaisir avant tout olfactif, notamment en passant devant les stands des charcuteries et des fromageries. Je n’étais pas très âgé, c’était l’époque où j’allais à l’école primaire. Déjà à cette époque, je ressentais ce plaisir d’entrer au contact avec cette gastronomie française. Il était assez tôt, vers 7h40 du matin et le marché finissait de s’installer. Les commerçants avaient l’air joyeux, signe manifeste qu’ils aimaient leur métier. Les premiers clients étaient aussi là pour remplir leurs réfrigérateurs et leurs placards de bonnes choses de la vie. Je n’avais malheureusement pas le temps de m’arrêter et je ne laissais que quelques regards plein de gourmandise. Je me suis toujours demandé si les commerçants m’avaient remarqué. Au fil de mes passages, je n’ai jamais rencontré le moindre problème : le marché et le centre ville était bien fréquenté et personne n’allait chercher des problèmes à un gamin de 8 ans. La suite du parcours m’apparaissait triste en comparaison. Je tournais à gauche pour retrouver mon chemin le plus court et je devais traverser un petit cours d’eau par un petit pont vert. Ce pont vert ne faisait que 1 ou 2 mètres de large et n’était que piétonnier. Quand le ciel était nuageux ou que le jour n’était pas encore levé, il me faisait un peu peur. Je voyais l’eau tourbillonner qui coulait en bordure de bâtiments qui penchaient dangereusement vers l’eau. Parfois, mon imagination vagabondait, où des images de monstres aquatiques faisaient quelquees irruptions dans mon esprit. J’ai fini par l’aimer ce pont. C’était une frontière naturelle : en été et au printemps, j’y voyais des canards ou des cygnes. Les saules pleureurs finissaient par tomber dans l’eau et ce cadre verdoyant était propice à l’apaisement et à la contemplation. Encore un tournant à gauche et c’est la dernière ligne droite avant l’école. Mon dernier plaisir, avant de rentrer, était de croiser un chat : j’avais souvent l’occasion de le caresser et c’était devenu un rituel. Je n’ai jamais croisé sa maîtresse car il avait sa nourriture dans un bol dehors. Ma mère, lorsqu’elle m’emmenait, savait très bien que j’adorais ce chat. C’était un passage obligé et j’étais triste quand il n’était pas présent.
Le midi, ma mère venait me chercher pour manger : on rentrait ensemble à l’appartement. Le plus grand plaisir était de pouvoir manger un des croutons de la baguette toute chaude achetée sur le chemin. Finalement, l’appartement était assez proche pour manger à la maison et faire l’aller/retour pendant la pause de midi. Cette situation avait plusieurs avantages : un avantage d’une très grande complicité avec mes parents (mon père rentrait aussi le midi), de l’exercice physique pour moi qui marchait très souvent. Plus tard, je me suis aussi rendu compte que c’était aussi une façon de maîtriser le budget familial qui n’était pas très extensible. Cela avait aussi un inconvénient car je ne partageais pas le midi avec les autres écoliers. D’une certaine façon, j’étais plutôt isolé mais cela ne m’a jamais posé de problème.
Le soir, lorsque je rentrais de l’école, j’aimais souvent m’attarder devant les boutiques. Je me souviens notamment que je passais devant des boutiques de tissus, des boulangeries et devant une librairie qui vendait aussi des cadeaux/jouets. Une fois, cette boutique a mis des maquettes de voitures et de cars dans sa vitrine et je m’arrêtais systématiquement devant. Ces maquettes servaient mon imaginaire où des voyages et expériences inventées grandissaient dans mon esprit. Je remontais souvent l’air rêveur vers l’appartement.
Une fois, mes parents m’avaient offert une de ces maquettes et c’était l’un des plus beaux jours de ma vie. J’ai toujours eu une fascination pour les petites voitures, cars, avions et autres maquettes. C’était le support parfait pour imaginer des tonnes d’aventures. Aujourd’hui encore, je me plais à me plonger dans cet imaginaire.
Le samedi, je me souviens que mes parents (surtout mon père) me déposait ou venait me chercher le midi. Avoir école le samedi était un calvaire : je sentais bien que tout le monde pouvait rester à la maison sauf moi. Les rues étaient désertes et le temps de présence à l’école était faible. C’était difficile de se concentrer car je ne pensais qu’à finir les cours. Mais quel plaisir de sortir vers midi et rejoindre Papa à la sortie de l’école.
En grandissant, ma perception du monde changea doucement. Nous avons fini par déménager dans une maison située bien plus loin de l’école. Ce déménagement m’a obligé à prendre des cars scolaires et le contact avec la ville, son marché et ses boutiques était rompu. Je devais me lever plus tôt et aller chercher un bus. Que c’était triste !
Bien plus tard, quand j’arrivais au lycée, j’ai retrouvé un chemin d’école bien plus intéressant. Je devais prendre un train pour rejoindre une grande ville. Et de la gare de cette ville, je pouvais prendre un bus ou déambuler au travers des artères et des petites rues pour rejoindre le lycée. La matin, il était souvent difficile d’être en avance. Cependant, le soir, les horaires du train pouvait me laisser jusqu’à 45 minutes que je pouvais dépenser en ville. Je connaissais toutes les lignes de bus et leurs itinéraires. Je prenais donc le droit de changer mes chemins et d’arpenter le centre ville et ses boutiques : des devantures de librairies, marchands de toute sorte. Le pire pour moi était de sortir du lycée à une heure où les commerces étaient fermés. Je n’ai jamais été d’une nature pressée et j’ai toujours aimé prendre le temps. Je partais en avance pour me donner le temps de profiter du chemin de l’école…