Les leçons du pouvoir (critique)

J’ai toujours trouvé intéressant de lire les livres des anciens présidents de la République, surtout quand ils reviennent sur l’exercice du pouvoir et leur bilan. C’est le cas du livre de François Hollande, les leçons du pouvoir.

Dans la course aux élections, les candidats à l’élection n’hésitent pas à utiliser tous les artifices pour convaincre les électeurs de voter pour eux. Cela inclut des promesses intenables et souvent des diagnostiques exagérés quant au bilan des prédécesseurs. Avec François Hollande, nous avons eu la proposition du président « normal », dont l’ennemi était la finance et qui voulait être le président de la vertu républicaine.

Au fil des pages, nous pouvons lire un livre écrit à la première personne qui pose souvent des questions (à défaut d’avoir un journaliste qui lui pose) et qui essaie d’y répondre. C’est sa façon de donner sa version des faits, de faire son bilan. Il y a dans cette approche du bon et du moins bon. Commençons par le positif : François Hollande dresse un bilan toutes en nuances de son action : il se donne des bons et mauvais points. Dans les mauvais points, ce sont moins des erreurs de jugement que des limitations rencontrées par le travail européen ou par des négociations avec des partenaires de la majorité ou sociaux.

Ai-je été trop sage ? Devais-je menacer, interrompre, bousculer la discussion ? Partir ? Ce n’est pas ma méthode. Mieux vaut négocier car il n’y a pas de solution solitaire.

Et cela définit bien l’action de François Hollande durant toute sa carrière : l’homme de la synthèse socialiste, qui fixe un cap, l’amende, négocie et se satisfait du résultat obtenu, faute de mieux à court terme. Faisant suite à l’hyperprésidence de Nicolas Sarkozy, pour qui toute action était un combat de tous les instants, quitte à être incompris quand le consensus l’emporte, François Hollande a mené une politique de synthèse, fidèle à la social-démocratie.
Sur la finance, François Hollande esquisse des principes de réalité économique qui enferme notre société vers un futur très aléatoire :

Sur mon bureau, dès le lendemain matin et tous les jours de mon quinquennat, une feuille simple arrivera portant sur le papier blanc un seul chiffre, comme le message obstiné de la réalité : le taux d’intérêt exigé par nos créanciers pour refinancer la dette de la France.

Que le gouvernement baisse la garde, qu’il se lance dans une politique financière aventureuse, qu’il cède à la facilité, la sanction est immédiate : le taux d’intérêt bondit, alourdissant soudain la charge du remboursement et réservant aux Français, sous couvert d’améliorer leur sort, des efforts encore plus douloureux.

C’est ce qui nous a permis d’emprunter à des taux d’intérêt proche de zéro pendant la quasi-totalité du quinquennat et de diminuer ainsi la charge de la dette de plusieurs milliards d’euros.

Et de conclure :

(…)Mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance…(…)C’étaient bien, en effet, les dérèglements du capitalisme financier qui étaient stigmatisés et non l’existence même du système bancaire, lequel est nécessaire à l’économie. Je n’annonçais pas la rupture avec l’économie de marché ou je ne sais quel grand soir collectiviste. Je revendiquais la maîtrise de cette nouvelle féodalité qui menaçait l’équilibre de notre modèle social.

Sur ce point, l’ex-président défend ses actions et les maigres avancées sur le domaine bancaire, sur la banque publique d’investissement. Mais je crois que ces avancées ne sont que minimes au regard de la situation financière internationale (paradis fiscaux, optimisation fiscale, profits délocalisés des grandes multinationales etc…).
Sur la plupart des sujets, nous avons l’analyse à froid du président qui revient sur ses positions, ses promesses, son action. Et sur la plupart des cas, je suis plutôt en phase avec son analyse ou sa justesse d’analyse. Ce qu’il lui manquait : c’était la volonté de renverser la table et de bouger les lignes comme le Macron le fait, dans un moment que l’on dira qu’il était venu.

Mais je connais les Français. Ils veulent toujours du neuf mais ne choisissent la nouveauté que par défaut.

Sa cohérence politique est claire, et rassurante en un sens : l’image qu’il a donné avant, pendant et après son mandat, reste similaire. La comparaison avec la notion de capitaine de pédalo peut faire sourire mais reste vraie : il était le capitaine du pédalo consensus.

Un autre point important est la place d’Emmanuel Macron dans son livre. Sous couvert de ne pas juger si il a été trahi, il passe une grande partie du livre à donner des leçons à Macron et à démontrer autant l’arrivisme, l’ambition et la duplicité de son ex-conseiller/ministre. Trahison !!!

Le bruit court qu’il pourrait saisir cette occasion pour se déclarer. Je l’exhorte à démentir au plus vite la rumeur. Sa réponse est nette : il n’y aurait là que « de la malveillance ». Et il ajoute dans son message : « Mes soutiens diront demain que le 12 ne sert ni à démissionner ni à annoncer ma candidature. Grotesque. Bises. » Mais à la Mutualité, en présence d’une foule qui scande des « Macron président ! », il s’écrie : « Plus rien n’arrêtera le mouvement de l’espoir. Nous le porterons ensemble jusqu’en 2017 et jusqu’à la victoire !

Un autre enseignement de ce livre est de voir qu’entre l’élection et la fin de mandat, le temps passe très vite. Je l’ai senti tout au long du livre où j’ai bien compris qu’entre avoir un programme et prendre la direction des affaires, il y avait tout un monde, avec une sacré marche à gravir. F. Hollande rappelle que son action obligera avant tout ses successeurs. C’est d’ailleurs un amer constat de voir son action jugée au présent alors même que les résultats ne se verront que des années plus tard. Sur cette base, on peut dire que nous avons vu les résultats de la politique de N. Sarkozy pendant la première moitié du quinquennat Hollande et que les résultats de ce dernier sont actuellement visibles. Les actuelles mesures Macron vont commencer à avoir de sérieux résultats dans un an ou deux. Pas vraiment avant.

Président, j’ai été celui de tous les Français mais je n’ai pas cessé de me situer dans un camp, celui du progrès. C’est ce qui a été appelé « l’ancien monde ». C’est le mien. Il a de l’avenir.

Le livre fourmille d’anecdotes et pour celui qui suit l’actualité, c’est très intéressant. Le style se veut toujours simple et direct, dans un monologue les yeux dans les yeux, ou plutôt de la main à l’œil.
Au final, et c’est le plus grave, nous pouvons aussi dire que ce livre est une preuve du décalage entre la réalité physique des choses et la pensée politique de notre monde vivant dans une illusion de richesses. Depuis des années l’impact de l’Homme sur la planète est décrié et aujourd’hui nous avons une réalité scientifique qui n’amène pas de réaction politique à la hauteur de l’enjeu : notre survie. Tant sur le changement climatique que sur la pollution ou la grande extinction en cours, François Hollande ne dit rien si ce n’est les poncifs habituels.

En politique, tout le monde est écologiste. Mais les écologistes ne sont nulle part. L’écologie a gagné, les Verts ont perdu.

Ce décalage avec la réalité est incroyable : qui est vraiment écologiste en politique Monsieur Hollande ? Qui est prêt à changer de modèle de société pour passer du modèle consumériste à croissance et déchets infinis vers un modèle respectueux de la planète ? On aimerait tous croire que changer sa voiture pour une électrique et mettre des lampes basses conso., cela suffit pour sauver la planète ? Et bien non, et même pire, cela nous amène encore plus vite au désastre. La vérité est ailleurs. Cette absence de prise de conscience démontre l’obsolescence de la pensée politique, qui est probablement pieds et mains liés avec le système économique (et la dette). L’actuel président ne change rien à cet état de fait, malgré son jeune âge, E. Macron n’est pas la hauteur de cet enjeu pour le moment. Pourtant, face à l’urgence vitale, n’est-il pas urgent d’agir, quitte à sacrifier notre confortable situation économique à court terme ? Cet arbitrage est probablement rendu très difficile avec une mondialisation toujours plus forte… Le consensus est peut être de laisser faire jusqu’à l’effondrement et qui sait, sur un malentendu, on s’en sortira peut-être. Capitaine de pédalo contre capitaine Fracasse ?

Je conseille à toutes les personnes intéressées par la politique et parce ce qui se passe dans notre pays de lire ce livre.

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