Comment se projeter à l’aube de la fin d’un monde ? Chapitre 2 : comprendre le problème

Dans le chapitre précédent [Constat], j’ai évoqué que l’Humanité était en train de réaliser sa seconde révolution copernicienne devant le danger systémique de son développement. Mais de quel danger parlons-nous exactement ?
Une façon d’entrevoir la situation est de regarder l’étude The trajectory of the Anthropocene: the great acceleration de 2015 réalisée par Will Steffen et. al [Steffen2015] [IGBP2015]. Elle peut être résumée avec le graphique suivant :

Ce graphique représente l’évolution d’un certain nombre de critères socio-économiques et environnementaux entre 1750 et 2010 : le nombre d’humains, la population urbaine, l’usage d’énergie primaire/d’engrais/d’eau/…, la valeur ajoutée créée, l’investissement, le taux de CO2 etc… Au-delà des chiffres, ce sont les tendances qu’il faut regarder : nous pouvons observer la formidable explosion de l’activité humaine et son impact sur la planète Terre. Nous savons maintenant, que sur bien des critères, la situation est critique : les taux de CO2/Méthane/Oxyde d’azote contribuent à l’effet de serre et au changement climatique. Sur les tendances socio-économiques, nous pouvons légitimement nous poser la question de savoir quand les maximums des différentes tendances seront atteints et si nous serons capables de les maintenir à un niveau acceptable pour nos vies.

Le premier indicateur qu’il faut absolument regarder est l’usage de l’énergie :


En France, Jean-Marc Jancovici [Jancovici] est probablement l’un des experts les plus reconnus sur sa capacité à expliquer notre situation autour de l’énergie et à essayer de promouvoir les solutions. J’ai assisté, par hasard, à une de ses conférences débats suite à la projection en salle du film La Vérité qui dérange, d’Al Gore. Cela nous ramène à fin 2006 au MK2 Bibliothèque, et c’est à ce moment là que j’ai commencé à comprendre. Depuis, la conscience du problème a augmenté, les conséquences se voient de plus en plus, et rien de structurant n’est arrivé pour changer la trajectoire.

La vidéo ci-dessous, composées d’extraits d’une conférence donnée fin 2017, illustre parfaitement bien la situation :

  • L’énergie quantifie la transformation du monde et notre civilisation repose sur un usage immodéré d’énergie à l’aide de convertisseurs (moteurs, machines).
  • Le développement des énergies renouvelables se réalise à l’aide des énergies fossiles (notamment pour la métallurgie, chimie).
  • L’usage de l’énergie ne fait qu’augmenter, les énergies renouvelables ne représentant qu’une part infime de l’énergie totale consommée. A part le bois, aucune source d’énergie n’a remplacée une autre : on ne fait que rajouter de l’énergie à l’énergie utilisée : charbon + pétrole + gaz + hydraulique + nucléaire + énergies renouvelables.
  • L’élément essentiel qui fait notre niveau de vie : c’est le carbone. Décarboner, c’est organiser une récession massive. Le niveau de vie du smicard français n’est pas durable.
  • Toute énergie devient sale dès qu’elle est massivement utilisée, car par définition, utiliser de l’énergie, c’est transformer l’environnement.
  • L’électricité à base de renouvelable nécessite des batteries qui plombent leur bilan carbone.
  • Un français a environ plusieurs centaines d’esclaves (équivalent humain) énergétiques (machines) à son service.
  • Baisser l’approvisionnement énergétique réduit l’usage des machines mais ne rend pas l’humain plus compétitif face à la machine et cela rajoute du chômage.
  • Le surplus de CO2 dans l’atmosphère déjà créé diminuera lentement et même si on arrête tout aujourd’hui : il en restera 40% dans 100 ans.
  • Pour rester dans la limitation à +2°c sur le climat : les plus jeunes (avec une population à 7 milliards) devront émettre collectivement durant toute leur vie la moitié de ce que leurs parents/grands-parents ont émis depuis 100 ans alors qu’ils étaient 3 fois moins nombreux. Au final, il faut diviser par 3 les émissions d’ici à 2050.

La conférence complète est ici : [Jancovici2017].
Cet aspect réaliste fait peur. Toutefois, il m’apparaît important de rappeler que notre développement s’est réalisé jusqu’à maintenant sans prendre en compte l’aspect planétaire/durable. Il y a donc des choix techniques et des gâchis que l’on peut remettre en cause dès maintenant sans faire trop d’effort. Pour illustrer ce fait, l’ami des lobbies nous raconte une petite histoire à propos de la déforestation :

Au-delà de l’énergie qui est le nerf de la guerre de notre civilisation thermo-industrielle, nous pouvons regarder de plus près un autre indicateur vital qu’est l’utilisation de l’eau :

Le stress hydrique touche et va toucher un grand nombre de pays comme le montre cette étude de 2015 [WRI-water2015] :

Ces projections reprennent les travaux et données du GIEC de 2015 car au-delà de l’augmentation de la population, le réchauffement climatique impacte aussi la disponibilité des ressources en eau, comme illustré dans un dossier par RFI [RFI-water] :

Plus récemment, les projections se sont affinées, notamment pour l’Egypte [Egypte2018].

Selon la FAO, le pays devrait atteindre le seuil du stress hydrique absolu (moins de 500 m³/hab./an) d’ici 2030.

La conséquence sera une montée des conflits entre les 11 pays qui dépendent du Nil et potentiellement une situation de famine en Egypte (et donc de potentielles révolutions et migrations).

Au delà de l’énergie, où le soleil apporte continuellement de l’énergie à la Terre, nous devons considérer l’ensemble des ressources non renouvelables, comme les différents minerais présents de manière limitée dans la croute terrestre. Et plus on aura exploité les mines faciles d’accès, et plus il faudra de l’énergie pour extraire ce qui restera (comme indiqué dans la vidéo de Jancovici). Cela montre que tous les problèmes sont liés : énergie, matières premières, impact sur la planète. C’est aussi pour cela que la collapsologie et le fait de prédire un effondrement de notre société, devient une source de plus en plus intéressante à considérer dans le bilan où en est, les risques associés et au-delà du fait qu’un effondrement arriverait ou non. La réflexion défendue par Pablo Servigne est intéressante :

Il ne s’agit pas d’éviter l’effondrement qui est maintenant inévitable. Mais il s’agit d’y faire face et de le traverser en évitant le pire.

Dans les prochains, je vais revenir sur les différentes actions qu’il faudrait mettre en place pour limiter les impacts de l’effondrement [ADEME].

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